Argument – Session 2024

  L’interprétation, du moins celle que Freud met à jour en psychanalyse, est au cœur de la pratique analytique, car c’est elle qui œuvre au dévoilement de l’inconscient, et qui confronte le sujet au contenu inconscient de ses propres dires et de ses symptômes.
  Son premier modèle fût le rêve où Freud dégagea à partir du récit, contenu manifeste, le sens du rêve, encore insu du rêveur, mais qui se formule dans le contenu latent des associations libres.
  D’où sa formule canonique : « L’interprétation des rêves est la voie royale qui mène à la connaissance de l’inconscient dans la vie psychique1 »
  Bien entendu, le terme d’interprétation s’applique aussi à l’acte manqué, au lapsus, à la répétition, à l’acting out, voire au délire, et l’on attend de l’interprétation qu’elle traite le symptôme par la parole. Car c’est bien le génie de Freud que d’avoir montré en quoi ces phénomènes disruptifs, et ces formations de l’inconscient, selon la formule de Lacan, ne relèvent pas d’un déficit, mais ressortent de mécanismes langagiers inconscients dont la prise de conscience, la subjectivation, n’est pas sans effet d’allègement.
  Néanmoins, dès le début de ses recherches sur le symptôme hystérique, Freud vérifiait que derrière le versant symbolique du symptôme qui, dans le transfert, s’ouvre au déchiffrage et à l’interprétation, reste le versant économique, dans lequel la pulsion sexuelle refusée trouve à se satisfaire de manière substitutive.
  D’où une perte de confiance des analystes, à l’orée des années vingt, envers la parole du patient. Ça ne marchait plus aussi bien que du temps des premières hystériques analysées par Freud, et de là s’ensuivit une première série de déviations : « Ils ont essayé́ », protesta Freud, « de comprimer le travail analytique en un temps réduit, d’accroître le transfert pour qu’il l’emporte sur toutes les résistances, de combiner avec lui d’autres modes d’influence afin d’arracher la guérison ». Pourquoi rappeler, aujourd’hui, ce moment de crise ? Sinon parce que ce sont ces courants visant à « arracher la guérison », en oubliant que le symptôme assure une fonction de compromis, très souvent essentielle pour le sujet, qui ont fait le lit des thérapies actuelles axées sur une rééducation comportementale à tout crin. À de nombreuses reprises, Jacques Lacan nous met en garde en soulignant leur point commun, à savoir que pour « arracher la guérison », il faut commencer par discréditer la parole, et s’en tenir à la suggestion pour consolider le Moi.
  Alors pour redonner à l’interprétation tout son lustre, et toute sa vertu, et pas seulement dans le champ de la cure analytique, mais aussi dans celui des psychothérapies orientées par la psychanalyse, l’Antenne clinique de Bastia propose comme thème de travail pour la session 2024 :

Introduction au maniement de l’interprétation

  Et pour cela, nous commencerons par relire les fondements freudiens, non seulement ceux qui mettent en valeur la dimension langagière de l’inconscient, mais ceux qui relèvent de cette satisfaction obscure et méconnue qui est à l’œuvre au cœur du symptôme.
  Puis, nous déplierons les ressorts de l’interprétation lacanienne, ses audaces inventives dans le champ de l’inconscient transférentiel, et comment on peut s’en servir au regard des trois catégories, imaginaire, symbolique et réel.
  Le rappel de la déviation des années 20 nous permettra de souligner la différence entre suggestion et transfert, et nous nous tournerons ici sur la clinique, aujourd’hui, des psychologues dans les services de soin d’où surgissent de nouvelles questions : Comment soutenir la causalité psychique à l’hôpital ? Et quid de l’interprétation là où il est d’abord question d’organisme ?
  Il s’agira ensuite de nous arrêter sur ce texte fondamental de Jacques-Alain Miller, de 1995, « L’interprétation à l’envers », qui met en valeur une autre voie de l’interprétation, et plus précisément, une voie où « l’interprétation proprement analytique – conservons le mot – fonctionne à l’envers de l’inconscient.2 » Cette intervention de Jacques-Alain Miller posant que « l’âge de l’interprétation est derrière nous » nous permettra alors de déplier ce qu’il en est de l’interprétation au regard de l’extension des modes de jouissance du monde contemporain, dans un moment où l’impératif de jouissance l’emporte sur le désir de savoir.

  Et enfin, la session se conclura en juin par une Conversation annuelle autour de l’interprétation dans la clinique de l’enfant : autisme, psychose infantile, prépsychose, troubles dys, enfance abandonnée, en danger. Comment orienter nos interprétations ?
  Cette conversation sera animée par Alexandre Stevens.

  Ajoutons que dans le cadre des conférences du Champ freudien, ouvertes au public, Hervé Castanet interviendra le samedi 17 février sur la question : Quid de l’interprétation dans le champ de la psychose ? et Alexandre Stevens le samedi 22 juin sur la clinique de l’enfant.

  Enfin, et en amont de cette session, nous vous invitons à suivre les prochaines Journées de l’École de la Cause freudienne, qui auront lieu les 18 et 19 novembre 2023 à Paris, et qui porteront justement sur ce qui fait le cœur de la praxis analytique, « Interpréter, scander, ponctuer, couper », des questions qui ne manqueront pas d’enrichir notre réflexion.

 


 

1 Freud S. L’interprétation du rêve, traduction de Jean-Pierre Lefebvre, Paris, Seuil, 2010.
2 Miller J.-A., « L’interprétation à l’envers », La Cause freudienne, n°32, février 1996, Navarin Seuil, p.13.