Argument – Session 2026

Clinique du passage à l’acte

C’est sans doute le travail mené une année durant autour de la question Comment répondre aux urgences contemporaines ? qui nous a sensibilisés à l’actualité des faits divers et à l’absence de commentaires sachant rendre compte de la logique pulsionnelle dont ils ressortent.

Il ne s’agit pas de méconnaître l’abord sociologique du fait divers, mais de saisir que nombre d’entre eux sont à prendre au cas par cas, en tant qu’ils font signe pour le sujet d’un impossible à se séparer d’un ressenti insupportable autrement que par un acte violent.

Celui qui avait relevé cet écart, c’est Roland Barthes, qui soulignait, dans son essai « Structure du fait divers », que « le fait divers […] procéderait d’un classement de l’inclassable, […] il ne commencerait d’exister que là où le monde cesse d’être nommé [1] ».

Avancer que le fait divers « procéderait d’un classement de l’inclassable » anticipait sur nos « inclassables de la clinique ». Mais c’est Jacques Lacan qui a formalisé en quoi le fait-divers-inclassable relevait du passage à l’acte, soit de l’impuissance de l’Autre symbolique à médiatiser le réel.

Parler en termes de passage à l’acte nécessite donc de faire une place au réel lacanien et de poser que le lien entre le sujet et la jouissance puisse se faire sans passer par l’Autre. D’où ces actes hors sens, qui ne peuvent être dits, ni partagés.

Reste donc à faire entendre à nos partenaires institutionnels ce qui nous guide, à savoir : « une biographie éclairée par le réel, soit par les brisures et fêlures », selon la formule de Francesca Biagi-Chai [2]. C’est par là qu’on peut vérifier que nombre d’actes énigmatiques, de paroles inquiétantes, de ruptures inopinées ont précédé le passage à l’acte.

D’où l’échec des discours officiels qui voudraient cautériser le trauma du fait divers en s’en tenant à dénoncer une éducation permissive, ou des juges trop laxistes, en excluant toute causalité psychique.

Ainsi, le mis en cause dans le crime récent d’une surveillante de collège en Haute-Marne, qui apparaît « très détaché » en garde à vue, nous dit-on, « sans regret ni aucune compassion pour les victimes ». Ici, le comble, ce sont ces commentaires qui, très vite, tiennent à souligner qu’« il ne présentait aucun signe évoquant un possible trouble mental », alors même qu’ils reconnaissent que « d’une manière générale, il apparaît en perte de repères par rapport à la vie humaine [3] ».

Comme si cette « perte de repères par rapport à la vie humaine » n’était le signe d’un procès forclusif.

Néanmoins, il est clair qu’on ne peut s’en tenir à l’invite de Jean-Paul Sartre qui recommandait aux journalistes de gauche de ne pas laisser « à la presse de droite l’exploitation de “la fesse et du sang” », et de procéder, « à partir des faits divers, [à] une analyse sociologique [4] ».

D’où le choix de notre thème de travail pour la session 2026 :

Clinique du passage à l’acte

Qu’il soit d’ordre réactionnel à une situation, qu’il relève du champ névrotique, ou qu’il surgisse de la faille psychotique.4
 


 
[1]. Barthes R., « Structure du fait divers », in Essais critiques, Paris, Seuil, 2015, p. 188.
[2]. Biagi-Chai F., « Le pousse au crime du discours moderne », Conférence tenue le 11 octobre 2013 à Martigny, consultable sur internet.
[3]. Ces commentaires repris par les médias sont consultables sur internet.
[4]. Sartre J.-P., « L’alibi », Le Nouvel Observateur, 19 novembre 1964, disponible sur internet.